On estime que 200 000 civils sont portés disparus à El Fasher, au Soudan. Ils ont fui une ville assiégée, mais ne sont jamais parvenus à se mettre en sécurité. Seuls quelques milliers d’entre eux ont atteint les centres d’accueil humanitaires, notamment ceux de l’International Rescue Committee (IRC).
Où sont les autres ? Et survivront-ils ? L’absence de réponses devrait ébranler la conscience du monde.
Ce n’est pas une préoccupation théorique. Les témoignages des familles qui ont réussi à s’échapper sont révélateurs Le personnel de l’IRC, 1 000 personnes à travers le pays, sur les corps éparpillés le long des routes, les enfants séparés de leurs parents et les attaques ciblées contre des civils. Le personnel humanitaire a confirmé le pire : des enfants non accompagnés arrivant traumatisés, seuls et affamés. Les routes sûres étant bloquées, beaucoup ont probablement été tués ou capturés. L’IRC, aux côtés de ses partenaires, fait tout son possible pour aider ceux qui s’en sortent vivants. Mais notre crainte la plus urgente demeure : qu’est-il arrivé à ceux qui ne l’ont pas fait ?
Près de 20 ans après que le Darfour soit devenu l’épicentre de l’une des crises humanitaires les plus dévastatrices du XXIe siècle, la région est à nouveau en proie à la violence. Le conflit a repris au Soudan en avril 2023, déplaçant plus de 12 millions de personnes et plongeant le pays dans le chaos. Et aujourd’hui, le monde risque un nouveau chapitre d’horreur au Soudan alors que la violence s’empare d’El Fasher.
El Fasher n’est pas seulement une urgence humanitaire. C’est le visage de l’effondrement plus large de la diplomatie internationale dans la période de l’après-Seconde Guerre mondiale. Le Soudan incarne ce que l’IRC appelle le « nouveau désordre mondial » : un conflit parrainé par un groupe croissant de rivaux régionaux et mondiaux, motivé par la diplomatie transactionnelle et la cupidité économique, et soutenu par l’impunité. Les normes humanitaires sont bafouées et les civils en paient le prix.
Les Forces armées soudanaises (SAF) et les Forces de soutien rapide (RSF) se battent non seulement pour le contrôle du territoire, mais aussi pour les ressources économiques qui fournissent à la fois des revenus et un effet de levier. Le conflit est financé, directement ou indirectement, par des puissances extérieures cherchant à accroître leur propre influence. À mesure que des gouvernements rivaux émergent et que le pays se fragmente, l’accès à l’aide est devenu une arme et les travailleurs humanitaires tués en toute impunité. Le Soudan est devenu un pays où les civils sont pourchassés et non aidés.
Et maintenant, la famine s’installe. Les dernières données confirment des niveaux de faim catastrophiques dans tout le Darfour. Près de 400 000 personnes risquent la famine, uns défini par le seuil de la phase 5 de la classification intégrée de la sécurité alimentaire. En outre, quelque 6,3 millions de personnes sont confrontées à un niveau de famine d’urgence (Phase 4), et bon nombre de ceux qui fuient El Fasher arrivent déjà sous-alimentés. Les enfants non accompagnés comptent parmi les plus vulnérables et des milliers ont été séparés de leur famille. La réponse internationale reste toutefois fragmentée et dangereusement lente.
Le Conseil de sécurité a adopté Résolution 2736 l’année dernière, appelant à l’arrêt immédiat des combats et à un accès humanitaire complet, rapide et sûr. Mais ces demandes restent lettre morte. Les mots ne se sont pas traduits par la sécurité. Les 200 000 disparus d’El Fasher constituent un témoignage déchirant de cet échec.
Comment faire face à la crise au Soudan
Nous ne pouvons pas attendre qu’un consensus diplomatique émerge pendant que les gens meurent de faim ou meurent. Des mesures urgentes doivent être prises maintenant.
Premièrement, nous avons besoin d’un passage sûr. Les civils doivent être autorisés à fuir El Fasher sans crainte d’attaque, d’extorsion ou de recrutement forcé. Il s’agit d’une exigence fondamentale du droit international et d’un besoin le plus immédiat sur le terrain.
Deuxièmement, nous avons besoin d’une réponse humanitaire à grande échelle. Cela signifie un accès sans entrave à ceux qui en ont besoin, où qu’ils se trouvent, notamment en responsabilisant les intervenants locaux et en garantissant que l’ONU dispose du mandat et des ressources nécessaires – l’aide humanitaire appel pour le Soudan est actuellement financé à moins de 30 % – pour accroître sa présence.
Troisièmement, nous avons besoin d’une pression diplomatique soutenue. Les États-Unis, en collaboration avec l’Arabie saoudite, l’Égypte et les Émirats arabes unis, dans le cadre de ce que l’on appelle le Quad, ont réalisé des progrès. Une trêve humanitaire de trois mois proposée, suivie d’un processus politique crédible de neuf mois, est une bouée de sauvetage nécessaire. Mais un tel plan ne peut réussir que si les civils sont protégés dès maintenant et si l’accès n’est plus utilisé comme monnaie d’échange.
Quatrièmement, nous devons arrêter le flux d’armes. Trop d’acteurs régionaux alimentent cette guerre en fournissant des armes aux deux camps. Au minimum, le Quad devrait engager une conversation sur les flux d’armes et user de son influence pour réduire les incitations à la poursuite de la violence. Derrière chaque famille disparue à El Fasher se cache une chaîne d’approvisionnement qui rend de telles atrocités possibles.
La crise au Soudan aura des répercussions bien au-delà de ses frontières. Les déplacements s’étendent au Tchad, au Soudan du Sud et en Éthiopie. L’insécurité alimentaire va augmenter dans toute la région. Et le danger est que le signal adressé aux acteurs armés du monde entier sera clair : vous pouvez tuer des civils en toute impunité si le monde ne vous regarde pas.
Mais le monde regarde. On voit des enfants arriver à Tawila sans leur mère. Nous entendons des membres du personnel de l’IRC risquer leur vie pour apporter de l’aide. Nous lisons les noms de villes où des atrocités ont déjà eu lieu. Et nous savons ce qui se passe lorsque nous détournons le regard.
Le Soudan est un test : pour nos valeurs humanitaires et pour notre détermination diplomatique. Chaque heure compte. La vie de centaines de milliers de personnes est en jeu.
Nous ne devons pas les décevoir – encore une fois.

